Imaginez un monde où on demanderait à une adolescente sans expérience en danse d’intégrer un ballet de danse classique. Certes, cette jeune fille viendrait d’une famille de danseur, mais voilà tout son bagage. Imaginez encore, que l’on attende de cette nouvelle ballerine qu’elle monte sur ses pointes, qu’elle fasse des arabesques cambrées et qu’elle glisse jusqu’au grand écart. Bien sûr, elle n’a que très peu de temps car le spectacle du ballet est imminent. Les risques de blessures sont immenses, en plus d’être d’une grande violence psychologique, parce que bien sûr, elle sera soumise aux exigences de fer du professeur. Il semble évident que tout cela n’a aucun sens. C’est pourtant ce qui est trop souvent imposé aux chevaux dans la pratique de l’équitation. Personne ne s’aventure sur l’Everest, ou s’inscrit à un marathon prévu le lendemain sans un minimum de préparation. Les mêmes problèmes se retrouvent dans les écuries. Le manque de préparation du cheval y prend plusieurs formes.
Partie I : 7 Malentendus au sujet de la préparation
1- Entrainer selon les principes d’un niveau d’équilibre supérieur à celui du cheval.
Trop d’entraineurs et de cavaliers entraînent selon un courant ou une école qui s’adresse à un cheval déjà prêt physiquement. Le bauchérisme et ses disciples en sont un bon exemple: raccourcissement de l’allure prématurée, report du poids précoce, relèvement encolure qui n’engendre pas de report du poids sur les hanches en raison de la ligne dorsale qui s’affaisse… Tenter de relever un cheval dont le dos n’est pas suffisamment développé creusera celui-ci et augmentera considérablement le risque de dorsalgie (kissing spine). La ligne dorsale n’étant plus disponible pour générer le mouvement des membres, ces derniers devront prendre la relève. Le cheval devient «leg mover», avec toutes les conséquences qui en découle. Le ralentissement des allures et leur soi-disant relèvement n’est pas un rassemblement du cheval, il s’agit plutôt d’une restriction dans le mouvement de la colonne vertébrale. Mais pourquoi donc le cheval devrait-il bouger sa colonne..? Parlez-en à votre vétérinaire! Biensur, il sera possible, dans cette attitude, de faire travailler un cheval déjà atteint de kissing spine, mais à quel prix et pour combien de temps.
2- Pratiquer une discipline ne constitue pas une préparation.
Certains sauteurs qui enchaînent les parcours, les cavaliers de dressage qui répètent des reprises ou celui de reining qui ‘’drill’’ des patrons, pensent ainsi entraîner leur cheval. Les cavaliers de dressage qui ne sortent jamais de leur ramener, de peur de l’échapper ou que le cheval en perde l’habitude, en est un autre exemple. Il y a quelques années, j’ai demandé à une cavalière de dressage de pratiquer les extensions encolures et les attitudes longues afin de renforcer le dos. Je me suis fais répondre, «je ne peux pas rider comme ça, je fais du dressage! Ce n’est pas ce que le juge veut voir»… Tout cela a pour conséquence de créer des sillons dans l’entraînement du cheval, voir dans son corps. Répéter un mouvement dans une mauvaise attitude, renforcera celle-ci, physiquement et cognitivement. Considérant alors que certaines structures compenseront pour d’autres, le risque de blessure est considérablement augmentée. A répéter les mêmes erreurs, on obtient les mêmes résultats.
3- Le talent ou la génétique d’un cheval ne remplace pas sa préparation.
Certains entraineurs surfent sur les aptitudes naturelles du cheval de grande qualité comme le warmblood moderne né très, voir trop souple, qui fait du passage lorsqu’il est émotif, ou encore cet ibérique qui piaffe en guise de mouvement d’humeur. Dans tous les cas, ce n’est pas parce que le cheval effectue un mouvement en liberté, qu’il est apte à l’effectuer sous la selle. Les races modernes de dressage, par exemple, ont été développées pour obtenir facilement une apparence de ramener. Pour des principes qui seront développés ultérieurement, le cheval portant son cavalier doit fournir un effort et un équilibre supérieur à celui qu’il ferait s’il n’avait que son propre poids à sa charge. De plus, étant conscient du mouvement suivant, le cavalier demandera peut-être sur une ligne droite, le niveau d’équilibre d’un appuyer. Le cheval seul n’effectuerait pas un cercle de 20m sur des bases raccourcies, car cela ne répondrait pas à la loi du moindre effort. Si le cheval ne fournit pas cet effort, ce sont ses structures indéformables qui le feront, tous ces mécanismes mettant en jeu tendons, ligaments et articulations, et qui permet normalement au cheval d’effectuer une migration à moindre effort.
4- Les aptitudes du cavalier ne remplacent pas la préparation du cheval.
Faire bon usage de son corps et avoir une bonne assiette sont deux choses distinctes. Il s’agit de regarder les photos de certains grands cavaliers du passé pour le constater. Faire bon usage de son corps en tant que cavalier, est important pour la santé de celui-ci. Aucune corrélation n’a été établie entre un mauvais usage qu’un cavalier aurait de son corps en selle et celui dont ferait le cheval du sien. L’inverse n’est pas plus vrai. Il ne suffit pas au cavalier de faire bon usage de son corps pour que le cheval en fasse tout autant. Par contre, un cavalier limité dans ses aides par son manque de compétence ou d’équilibre, sera limité dans le développement de son cheval. Le talent du cavalier lui permet parfois d’extraire de magnifiques allures. Sa puissance peut lui permettre de faire exécuter à son cheval des mouvements qui dépassent son équilibre. Ces mouvements spectaculaires comporteront toutefois de grandes lacunes en matière d’équilibre. Nous voyons trop souvent des cavaliers dans des attitudes supérieures au niveau d’équilibre de leurs chevaux. Le trot assis sur un cheval non rassemblé en est un bon exemple. Le cheval qui n’est pas prêt a accueillir le cavalier en son dos se verra restreint dans le mouvement de sa ligne dorsale, et le mouvement du corps tout entier en sera affecté.
5- Trop de motivation tue la motivation.
De la même manière qu’un cavalier puissant peut extraire de son cheval des mouvements dépassant son équilibre, le renforcement positif peut aussi le faire. Un cheval est prêt à beaucoup pour un carré de sucre. Des aides dures, telles que des mors sévères ou des éperons acérés peuvent aussi fortement inciter le cheval à dépasser ses capacités. De la même manière, la peur peut être une grande source de motivation. L’émotivité stimule le cheval à effectuer des mouvements spectaculaires qu’il serait tentant d’exploiter. Nous avons tous déjà vu un cavalier chauffer un cheval pour le rassembler, ou l’effrayer pour le pousser sur l’obstacle. Dans un monde idéal, la course ne devrait pas être le fruit d’un emportement en déséquilibre. Tel que mentionné précédemment, le cheval doit avoir été préparé de manière GRADUELLE aux mouvements demandés, faute de quoi, les dommages sur son corps, voir sur sa santé mentale seront très grandes. Obtenir un mouvement par la force implique trop souvent une violence des aides. Les mouvements obtenus par émotivité représentent un grand stress pour le cheval.
6- De trop grandes bouchées.
Même la FEI suggère de «griller» des étapes, alors pourquoi pas nous? Amener un cheval en balade alors qu’aucune préparation n’a été faite, peut le confronter à de trop grands défis. Ou monter la barre au-delà des capacités du cheval, parce que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Utiliser des mouvements d’un niveau très avancé, tel que piaffer pour «rasseoir» en croyant gagner du temps, alors que des mouvements simples auraient suffit, encore faut-il avoir de bonnes connaissances en biomécanique et une bonne expérience de l’entrainement. Le temps en apparence économisé en début d’entraînement se verra perdu au double sur l’espérance de vie utile du cheval, voir son espérance de vie tout court! Le manque de respect a l’égard de la croissance en est un bon exemple. A cela, certains répondront que le même cheval dont l’entrainement débutera sur le tard, aura probablement la même durée de carrière. Effectivement, s’il est aussi mal entraîné plus tard dans sa vie, les dommages seront comparables. Cela ne justifie en rien ni l’un, ni l’autre.
7- Même l’équitation de loisir requiert de la préparation
Nous avons tous croisés des cavalières qui passent plus de temps à étaler leur vie équestre sur les réseaux sociaux. D’autres se contentent de monter en concours. La monte du dimanche en cours de groupe avec un instructeur présent pour monter le parcours, c’est un super loisir pour le cavalier, mais pas un entraînement suffisant pour le cheval. La balade mensuelle parce que des copines ont amenées leur cheval à la maison n’améliorera pas les aptitudes de votre cheval quant à la gestion de sa peur. Avez-vous des attentes qui correspondent au temps investi? Certaines tâches pourront mieux correspondre à des chevaux de loisir sans préparation, il faut savoir accepter ces limites. Imaginez aller une fois par semaine, courir 40 km, alors que votre sédentaire mode de vie de bureau ne vous permet que cet entraînement.
Conclusion:
Nous venons donc de voir certains malentendus courants au sujet de la préparation, et leurs conséquences sur l’intégrité du cheval. Ces conséquences sont lourdes pour le bien-être du cheval et pour les coûts futurs en vétérinaire, masso, ostéo etc… que vont engendrer une préparation inadéquate. Comment expliquer ces erreurs? Dans la partie 2, nous tenterons d’analyser les causes de ces malentendus et d’y apporter des pistes de solutions.