«Le rêve de l’équitation symbolisé par l’image du Centaure, n’est-il pas le rêve d’une union profonde, d’une compréhension et d’une harmonie élémentaire?» Klaus Ferdinand Hempfling
En prenant pour acquis que l’option chirurgicale n’est pas une solution pour devenir un Centaure avec sa bête, d’autant plus que cette créature mythique prive quelque peu le cheval de sa si belle encolure, comment allons nous alors procéder? Par le jeu!
Pourquoi le jeu?
Tous les jeunes animaux jouent. Dans le règne animal, le jeu permet aux plus jeunes d’explorer les comportements dont ils auront besoin plus tard. Le jeu, toujours présents dans la vie d’adulte, démontrera une plus grande plasticité comportementale à l’âge adulte. « Le jeu est toujours un exercice préparatoire aux activités de l’adulte»(1). Les jeunes chevaux joueront à fuir, à pourchasser, à séduire, à se battre, ils pourront explorer les mouvements qu’ils devront maîtriser dans leur vie d’adulte, mais sans le poids de l’émotivité. Ces mouvements peuvent être divisés en deux grandes classes: l’équilibre naturel sur le devant, qui est celui des déplacements réguliers et de la fuite, et qui nécessite une faible dépense calorique…, et l’équilibre naturel transcendant sur les postérieurs, celui de la séduction, du combat et de l’exploration. C’est de ce dernier dont il sera question en équitation. Cet équilibre dans lequel le cheval reporte du poids sur les postérieurs, mais sans entrer dans l’émotivité du combat ou de la séduction, il actera cet équilibre.
Quel sera l’objectif du jeu?
L’objectif du jeu sera le développement de l’équilibre du couple cheval-cavalier dans des mouvements de plus en plus complexes. Tout est une question d’équilibre… Équilibre physique et psychologique, du cheval et du cavalier… Équilibre entre les besoins du cheval, les désirs du cavalier et les moyens dont dispose le couple pour les concilier… Le cavalier doit prendre des décisions en mettant les besoins du cheval en priorité. Le cheval domestique doit apprendre les comportements qui sont appropriés à son mode de vie et à la tâche qui lui est demandé. Le couple qui évolue dans une danse où le jeu est toujours à la frontière du travail.
Règles du jeu
Ce jeu comporte certaines règles. Il est impératif que les deux protagonistes se respectent et entretiennent un lien de confiance. Le cavalier doit garder le contrôle sur le cheval pour des raisons évidentes de sécurité, mais aussi parce que lui seul possède la connaissance relative aux impératifs du travail de portage qu’il demandera au cheval, et aussi pour rester en contrôle de l’animal sur lequel il s’assoit. La confiance et le respect se développeront dans l’habitude à se côtoyer, dans les soins que le cavalier donnera au cheval. Ce dernier devra s’assurer du respect de ses limites et de celle du cheval afin que se développe un respect mutuel. Aussi, la nature même du jeu au sol ou en liberté aidera à placer les bases de la relation qu’il amènera ensuite sous la selle.
Bien que ce soit le cavalier qui guide la danse, il devra offrir au cheval une relative liberté afin qu’il puisse s’exprimer et trouver un moment de répit, le calme et le repos étant une récompense particulièrement appréciée par sa monture. Demander et laisser faire qu’ils disaient…. C’est de l’expression de la liberté du cheval que naîtra un échange, une danse une énergie harmonieuse.
Et le cheval, bon joueur?
Il va de soi que si la plupart des personnes que je côtoie ne se posent de question sur la nature éthique de leur choix, je ne peux m’attendre à plus de la part de mon cheval… Quoique…
Mais sérieusement, qu’est-ce qui guide le cheval dans son processus de décision? Ses besoins, dans un premier temps, le plaisir ou déplaisir que procure une situation, dans un second. Quel grand hédoniste que ce cheval! Et en troisième plan, les comportements appris déclenchés par un stimulus neutre. L’apprentissage chez l’animal reposant en grande parti sur la notion de plaisir et de déplaisir, que ce soit pour le renforcement positif et négatif ou la punition. Le cheval est-il bon joueur? Il ne triche pas et il prend ses décisions sans arrière pensée, il n’en est pas capable. « Le cerveau d’un cheval n’est pas celui d’un homme. En particulier, les décisions comportementales sont toujours émotives et non pas logiques : l’animal ne réfléchit pas, au sens d’un raisonnement intériorisé. Il ressent sur le moment des émotions qui, associées à la mémoire de celles qu’il a connu auparavant, lui permettent de prendre des décisions comportementales » (2).
A quel moment le jeu n’en est plus un?
Quand les règles sont brisées, quand le partenariat est rompu. Nombreux sont les jeux de l’esprit qui peuvent venir déranger le raisonnement du cavalier. Trop aimer son cheval, lui attribuer des intentions qui dépassent ses capacités ou interpréter la réalité en fonction de croyances plutôt que de connaissances sont autant de parasites de la relation cheval cavalier. « Il va me respecter parce qu’il m’aime. » « Il est fâché parce que je ne l’ai pas visité hier. » « Elle se fout de moi!» Tant d’affirmations douloureuses à mes oreilles. Attribuer de mauvaises intentions à votre partenaire équin ne vous aidera en aucun cas à vaincre les difficultés, bien au contraire. Des exigences trop grandes ou un cavalier perpétuellement insatisfait terniront le cheval et lui feront perdre son brillant. Ne faites pas tomber votre équitation du côté sombre et de la force, ne le laissez pas devenir un travail, peu importe le style ou le niveau d’équitation pratiquée. L’équitation doit rester plus agréable que désagréable pour votre cheval. Récompensez toujours plus que vous ne punissez. Si ce n’est pas le cas, demandez-vous si vous exigez trop de votre cheval ou si vous lui demandez de la mauvaise manière ou au mauvais moment.
Ces jeux en sont-ils vraiment?
L’équitation prend plusieurs formes, artistiques, sportives ou de loisir. Mais sont-elles toutes égales dans leur rapport au cheval? « Monter à cheval, c’est un art et c’est un sport, les deux à la fois » (3). Le sport équestre exige beaucoup de l’athlète équin. En plus d’exiger une rigueur au travail, qui déjà nous éloigne passablement du jeu, une grande disponibilité est requise de la part de son corps. Même si certaine discipline mettent d’avantage l’emphase sur la qualité de l’équitation, il n’en reste pas moins que la symétrie de son corps et la puissance de celui-ci est mise de l’avant, encore plus pour celle qui se contente de critères quantitatifs simples pour évaluer la performance, tels que les sports de saut ou la course. Les compétitions sportives ne produisant qu’un gagnant pour une grande quantité de perdants, chaque participant souhaitant se hisser au sommet, en oublie parfois l’essence même de l’équitation, soit le jeu, le plaisir et l’apprentissage. En équitation plus encore que dans d’autres domaines, rien ne compte d’avantage que le chemin, car il constitue la seule certitude.
Une démarche artistique quant à elle permet un plus grand respect des limites de notre cheval, n’ayant pas au sens propre de figures imposées, et privilégie l’expression du cheval. Mais attention, un cheval qui ne porte pas de harnachement n’est pas un cheval libre, bien au contraire. Les limites les plus difficiles à franchir sont souvent celles que l’on s’impose, et il en va de même pour le cheval. Très peu d’artistes équestres proposent une réelle liberté où le jeu occupe la première place d’un spectacle, ce qui est sain n’est pas toujours spectaculaire ou demande un savoir faire infini et des conditions de travail particulière avec lesquelles les multinationales du spectacle équestre ne peuvent pas toujours composer… La bien spectaculaire monte à cru par exemple, est-elle vraiment un gage de bien-être pour le cheval ou vise-t-elle plutôt a épater l’œil du public néophyte? (voir la mesure de l’impact de la monte à cru par Équi-Metrix)
L’équitation de loisir semble celle qui concilie le mieux jeu et travail. Le cavalier de loisir montera quand le cheval est disponible, et ne le fera pas lorsqu’il ne l’est pas. Il sera à même de respecter ses limites et de découvrir d’autres avenues que le travail monté. Le bien-être et l’équilibre du cheval monté peuvent alors devenir la préoccupation première. Le chemin s’embellit, la performance s’ensuit, ou non, mais l’apprentissage devient quotidien, ainsi que l’épanouissement tant espéré du cavalier.
Et s’il n’avait plus envi de jouer…
Le libre arbitre de l’homme est encore une notion largement remise en question par les philosophes, mais celui du cheval désobéissant lui, ne fait trop souvent plus aucun doute dans la tête du propriétaire. Un cavalier aux aides trop dures ou instables, une douleur ou un équipement mal ajusté sont autant de causes de déplaisir qui transformeront le jeu, en travail voir en supplice. Avant de conclure à la mauvaise volonté de votre animal, demandez-vous plutôt pourquoi il n’a plus envie de jouer avec vous. « Demandez-vous si sa résistance, ses mauvaises performances ou son attitude ne puisent pas leurs origines dans l’un des 14 facteurs courant exposés: selle mal ajustées (…), les dents, la douleur, techniques et styles d’équitation, attitude du cavalier, stress, décryptage du langage équin (…)» (4). En effet, un cheval volontaire n’est pas nécessairement un cheval confortable. Que ce soit un apprentissage, un traumatisme ou un inconfort, toutes les causes de déplaisir sont également vraies pour le cheval et elles doivent être pansées avec la même bienveillance, plutôt que d’être camouflé sous une tonne de dominance. La dominance du cheval, quant à elle, pourra parfois être la source de désobéissance, mais dans de très très rare cas, source de mécanisme de défense. Le cheval qui a appris qu’une situation était douloureuse peut en conserver la croyance, même une fois la douleur dissipée. Il sera de notre devoir de lui redonner le plaisir de ce jeu étrange qu’est l’équitation.
Sources :
- « Danser avec les chevaux », Klaus Ferdinand Hempfling, Vigot
- (1) (2) « Éthologie et écologie équines », Jean Claude Barrier et Dr Christine Lazier, Vigot
- (4) « Cheval : Éthologie et travail », Linda Tellington-Jones, Vigot
- (3)« Équitation naturelle »Pierre Jonquères d’Oriola, Elsa Romero, Éditions Tabucaire